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Robert CHAMBEIRON
Secrétaire Général Adjoint du Conseil National de la Résistance (1943 - 1944)
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AINSI FUT CRÉÉ
LE CONSEIL NATIONAL DE LA RÉSISTANCE...
Robert Chambeiron, président-délégué de l'ANACR, est aujourd'hui le seul à pouvoir témoigner de la préparation et du déroulement de la réunion constitutive du "Conseil National de la Résistance", à laquelle il participa. Proche de Jean Moulin, l'initiateur et le premier président du CNR, il en sera le secrétaire-général adjoint. C'est donc un témoin privilégié que nous avons interrogé. Ses réponses apportent à la connaissance historique d'un organisme dont l'existence et le programme ont puissamment contribué à la libération de notre pays et à sa reconstruction, même si toutes les espérances dont ils étaient porteurs n'ont pas toutes été satisfaites. Laissons la parole à Robert Chambeiron.

Interview réalisée par les « Ami(e)s de la Résistance » (A.N.A.C.R.), et publiée en mai 2007.
Le C.N.R. a été constitué le 27 mai 1943. Le processus ayant conduit à sa création a été initié à quelle époque ?
Robert Chambeiron :
Il est difficile de situer avec précision la date des premières initiatives ayant conduit à la création du C.N.R.. La Résistance a été un corps vivant, et son évolution n'a pas échappé aux mouvements qui agitaient la société de l'époque. Beaucoup de temps s'est écoulé entre l'effondrement de juin 1940 et la prise de conscience de la nécessité de s'unir.
Dès le début, la Résistance est fragmentée. Il n'y a pas - ou peu - de liaisons entre les mouvements, et encore moins avec Londres. En outre, les formes d'organisation et d'action ne sont pas les mêmes dans la Zone occupée, en prise direct avec l'occupant et son appareil répressif, et dans la Zone dite "libre", où une certaine liberté de mouvement, même réduite, existait, au moins jusqu'au mois de novembre 1942.
Le débarquement allié en Afrique du Nord, l'écrasement de l'armée von Paulus sur le front de Stalingrad, une répression de plus en plus féroce, l'institution du Service du Travail Obligatoire, c'est-à-dire la déportation organisée de la jeunesse française en Allemagne pour combler les pertes subies par l'armée hitlérienne sur le front soviétique, notamment, vont détruire le mythe d'une Allemagne invincible, apporter aux Français des motifs de résister aux nazis et à Vichy, et les rapprocher progressivement de la Résistance, dont l'action a pris une ampleur significative.
Mais pour vaincre, il faut être uni. Les bataillons ne sont pas suffisants, il faut une armée. Ce sera l'objectif de Jean Moulin dès le début 1941. Recenser les forces de la Résistance sur le sol national, et rencontrer le Général de Gaulle pour assurer l'unité de combat de la Résistance intérieure et de celle qui opère sur les théâtres extérieurs de guerre. Si des signes très forts sont apparus dans la volonté d'union des principaux dirigeants des mouvements de Résistance, disons au cours de l'année 1942, le véritable tournant de la Résistance se situe le 27 mai 1943, quand Jean Moulin réunit le " Conseil National de la Résistance ". Pour cela, il a fallu surmonter bien des obstacles, mais le but a été atteint. L'unité est totale.
L'origine de la création du C.N.R. se situe-t-elle à Londres ou en France occupée ?
R.C. :
Historiquement, les initiatives ayant conduit à la création du C.N.R. sont venues de la France occupée. Et Jean Moulin en est le symbole. A Londres, il parlait au nom de la Résistance intérieure. Et il a été le seul commissaire (c'est-à-dire ministre) dans le Comité Français de Libération Nationale (C.F.L.N.) présidé par de Gaulle qui assumât ses fonctions sur le sol national. A compter de janvier 1942, lorsque Jean Moulin revient de son premier séjour à Londres, c'est en accord avec le C.F.L.N. et son président que seront menées les négociations, souvent ardues, avec les mouvements, les syndicats et les partis républicains résistants.
La création du C.N.R. donne à la Résistance unie une dimension nationale et une autorité accrue, en même temps qu'elle apporte au général de Gaulle la légitimité que lui contestaient les alliés anglo-saxons. Les manœuvres de Vichy, au travers la personne du Général Giraud, ont échoué, et le danger est écarté de l'installation en France d'une administration militaire alliée pilotée par les Américains. Seul le drapeau français flottera au fronton des édifices publics.
En mai 1943, la France est occupée depuis trois ans. Pourquoi le C.N.R. n'a-t-il pas été créé plus tôt ?
R.C. :
L'obstacle à la création du C.N.R. est venu de l'opposition de certains dirigeants de la Résistance, notamment dans la Zone sud, à la représentation moins des syndicats que des partis politiques qui, à cette époque, étaient vomis par la population ; soit à cause d'une propagande forcenée tendant à les rendre responsables d'une défaite qui fut, en réalité, l'oeuvre des hommes de Vichy, soit du fait du vote du 10 juillet à Vichy par lequel députés et sénateurs s'étaient couchés devant Pétain, et qui avaient indigné ceux des Français qui gardaient au cœur la démocratie. Seuls échappaient à cette hostilité le Parti communiste, qui avait été interdit dès 1939 et dont les députés ne pouvaient plus siéger à Vichy, et les quelques dizaines de parlementaires courageux qui avaient voté contre Pétain (les " 80 "), ou qui n'avaient pu participer au vote mais dont l'attachement à la République n'était pas contestable. Fin 1942 - début 1943, les partis républicains avaient fait le ménage dans leurs rangs et écarté les éléments qui s'étaient déshonorés à Vichy : ils demeuraient pour beaucoup la référence démocratique. L'unité entre les mouvements pouvait aller sans difficulté. Dans la Zone nord, les cinq mouvements de la résistance qui avaient été retenus pour faire partie du C.N.R. se ras- semblèrent en un "Comité de Coordination" faisant pendant aux "Mouvements Unis de la Résistance" (M.U.R.) regroupant Combat, Libération et Franc-Tireur dans la Zone sud...
Mais, dès que furent levés les obstacles à la création d'un C.N.R. conforme à la mission que Jean Moulin avait reçue du Général de Gaulle, et que le C.N.R. devint opérationnel, le Comité de Coordination de la Zone nord et les M.U.R. en Zone sud finirent par perdre toute justification comme facteurs d'unité de toute la Résistance. Rapidement, ils ne furent plus que des coquilles vides. La direction nationale de la Résistance était désormais confiée au Conseil National de la Résistance, organe unique à l'image de toute la Résistance.
La résistance intérieure s'est développée dans un contexte à l'évidence différent de celui que connaissaient les combattants de la France libre. L'acceptation de l'autorité du CFLN et de celle du Général de Gaulle n'a-t-elle pas posé des problèmes ?
R.C. :
La Résistance ne pouvait présenter qu'un seul visage autrement toutes les manœuvres auraient été possibles et son autorité eût été affaiblie. Jean Moulin avait trouvé en Zone sud des dirigeants qui, pour différentes raisons, sans exclure une part d'ambition personnelle, rejetaient l'autorité de de Gaulle au nom de leur indépendance, c'est-à-dire se condamnaient à l'isolement au motif de rester les maîtres dans leur étroit domaine. Certains d'entre eux s'abstiendront même d'assister à la création du Conseil National de la Résistance, mais leur absence ne modifiera pas le cours des événements.
Dès ses premiers moments, le C.N.R. se place sous l'autorité du C.F.L.N., gouvernement provisoire que préside de Gaulle. Mais ce dernier est à Londres et c'est le C.N.R. qui assurera l'exercice de la souveraineté nationale jusqu' à la Libération. Le Général de Gaulle a un " délégué " en France qui, dans le cadre de sa mission, assure la liaison avec le C.N.R.
Précisément ce délégué est Jean Moulin. Quelle est la part de " l'équation personnelle " de Jean Moulin dans la création du C.N.R.?
R.C. :
Ce n'est pas par hasard qu'on a présenté Jean Moulin comme l'unificateur de la Résistance. Dans son discours au Panthéon, Malraux souligne le rôle essentiel de Jean Moulin dans la création de "l'armée des ombres ".
Ce qu'on sait moins, c'est qu'au mois de mai 1940, alors qu'il était encore préfet à Chartres, Jean Moulin avait compris que le sort des armes françaises était scellé et écrivait alors à un ami : "nous allons devoir résister, nous compter et nous unir". Jean Moulin a le sens de l'Etat, c'est un préfet républicain, attaché aux valeurs de la République et au respect de la parole donnée. Son rôle dans l'aide à l'Espagne républicaine est bien connu ; sa condamnation des accords de Munich aussi. Il sait qu'il n'y a pas de conciliation possible avec l'idéologie nazie et n'a jamais nourri la moindre illusion sur Pétain, étrangleur de la République. Il ne pouvait, bien que venu d'un milieu de gauche, que s'entendre avec de Gaulle issu d'une famille de tradition conservatrice. Ils avaient en commun l'attachement à la patrie et à la souveraineté de la France, le même sens de l'Etat...
Dans les rapports parfois conflictuels qu'il eut avec certains dirigeants de la Résistance, il apparut comme un homme d'Etat ayant une compréhension géopolitique lui permettant d'apprécier la situation de l'époque dans toutes ses dimensions. Il savait écouter et n'imposa jamais son point de vue que, seule, sa force de conviction conduisait son interlocuteur à partager.
Quelles qu'aient été les appréciations portées sur le rôle de Jean Moulin, jamais personne ne mit en doute la force et la sincérité de ses convictions. C'était un homme respecté, et sa foi dans l'avenir du pays et de la République vint à bout des résistances les plus opiniâtres.
Quels critères ont présidé au choix des mouvements, syndicats et partis appelés à faire partie du C.N.R.?
R.C. :
Pour être efficace, le Conseil National de la Résistance devait être une dimension raisonnable, c'est-à-dire une structure suffisamment légère pour travailler sérieusement sans éveiller l'attention des forces de répression.
C'est dire qu'un choix s'imposait. Mais il fallait surtout que toutes les sensibilités de l'opinion y aient leur place, sans qu'aucune d'entre elles n'y eut une part prépondérante. Dans la Résistance, la loi de la majorité n'avait aucun sens. Seule l'unanimité donnait l'assurance que les décisions arrêtées en commun seraient mises en oeuvre par tous. Chaque organisation membre du C.N.R. conservait son identité et la responsabilité du choix dans la mise en oeuvre des décisions communes selon les formes les mieux adaptées au terrain et aux circonstances. L'entrée des syndicats clandestins dans le C.N.R. se fit sans opposition. Les deux seules organisations qui pouvaient prétendre parler au nom des travailleurs étaient la C.G.T., réunifiée depuis les accords du Perreux en 1942, et les syndicats chrétiens. Leur place dans le C.N.R. ne se discutait pas. Ils avaient montré leur capacité d'organisation et de mobilisation lors des grands rassemblements de masse pour de meilleures conditions de vie et des droits syndicaux réels.
Pour les mouvements, c'était un autre problème. Il y avait beaucoup de candidats, mais comme on ne pouvait pas réunir tout le monde, le parti fut pris de s'en tenir aux huit mouvements les plus représentatifs, c'est-à-dire, cinq en Zone nord et trois en Zone sud. Ce choix fut bien accepté, d'autant que des contacts avaient été établis depuis longtemps entre certains mouvements et qu'au travers de ce maillage chacun se trouvait directement ou indirectement représenté au C.N.R..
J'ai dit que la représentation des partis politiques avait été la plus difficile à négocier. A partir du moment où le principe avait été acquis, il fallait que le plus large éventail politique se retrouvât dans le C.N.R., c'est-à-dire du parti communiste au parti conservateur en passant par les socialistes, les radicaux, les chrétiens, etc. Là encore on veilla à ce qu'il n'y eut aucune sur-représentation qui aurait pu nuire à l'équilibre de l'édifice.
J'ai fait allusion à la situation à Alger au printemps de 1943. Les Américains se méfiaient de de Gaulle, dont les relations avec Roosevelt n'étaient pas des meilleures, loin de là. Ils ne le tenaient pas pour un vrai démocrate et le soupçonnaient d'aspirer à la dictature. Le général Giraud, bien que fidèle à Pétain ne les effrayait pas.
Ce qu'ils contestaient à de Gaulle, c'est de ne pas avoir le soutien des forces démocratiques. Ils ne comprenaient pas les mouvements de Résistance et pour eux une véritable démocratie était fondée sur l'existence de partis politiques et de syndicats.
La bataille pour la représentation des partis politiques au sein du C.N.R. était donc décisive. Jean Moulin finit par convaincre les opposants, et la suite confirma la pertinence de ses vues. La création du C.N.R. fut déterminante dans l'attitude des alliés à l'égard de de Gaulle et ce dernier, dans ses Mémoires de guerre, a dit combien avait été décisif pour lui le soutien du C.N.R..
Dans quelles circonstances ont été retenus le lieu et la date de la réunion constitutive du C.N.R.?
R.C. :
Le principe de la création du C.N.R. avait été confirmé par les deux missions que de Gaulle avait confiées à Jean Moulin en 1942 et en 1943, lors de leurs rencontres à Londres. Il fallait passer à l'application, le mois de mai 1943 fut retenu pour la réunion constitutive. Les diverses formes de résistance, mouvements, partis, syndicats, avaient acquis une grande expérience de la vie illégale, et les arrestations nombreuses qui avaient décimé certaines organisations avaient conduit au renforcement des règles de sécurité, rendant moins périlleuses les rencontres clandestines.
Au mois de mai l'accord politique étant réalise, il ne restait plus que la réunion à organiser.
Paris était la véritable capitale de la Résistance. Cela ne veut pas dire qu'il n'y avait de résistance qu'à Paris, mais les responsables au niveau le plus élevé y résidaient, clandestinement bien entendu.
Jean Moulin, Pierre Meunier et moi appartenions avant la guerre à l'équipe de Pierre Cot, le ministre du Front populaire. Tout comme le colonel Frédéric Manhès qui fut un des bras droits de Jean Moulin, mais qui fut arrêté au début de l'année de 1943 et déporté a Buchenwald. Nous étions habitués à travailler ensemble et formions une équipe homogène et soudée. Il était normal que le choix du lieu de la réunion se porte sur un appartement qu'occupait un haut fonctionnaire de nos amis.
Nous connaissions ses sentiments patriotiques et républicains et aussi son courage car, pour lui et sa famille le moindre accident aurait pu avoir des conséquences dramatiques. C'était dans un quartier de Paris suffisamment fréquenté pour que des mouvements discrets n'y soient pas remarqués.
La date du 27 mai avait été communiquée à chacun, mais il parut préférable, pour assurer le maximum de sécurité, de ne communiquer à personne l'adresse du lieu de la réunion. Seuls Jean Moulin, Pierre Meunier et moi-même la connaissions. Chaque délégué avait un rendez-vous éloigné du lieu de réunion, et c'est deux par deux que Pierre Meunier et moi allâmes les récupérer. Cette réunion a été la plus importante dans l'histoire de la Résistance, et aussi la plus périlleuse en raison de la qualité des participants tous recherchés par la police. Nous avons conserve la même technique pour l'organisation ultérieure des réunions du C.N.R. et de son Bureau. Jamais nous n'eûmes le moindre désagrément. Plus d'un demi-siècle après, je ne cesse de penser que si les mêmes précautions de sécurité avaient été prises lors du rendez-vous de Caluire, Hardy n'aurait jamais pu conduire la Gestapo jusqu'au lieu de réunion et Jean Moulin n'aurait pas été arrêté.
La réunion fut relativement brève. Sécurité oblige. Jean Moulin rappela les buts de la France Combattante tels que les avaient définis de Gaulle. Le représentant des chrétiens-démocrates Georges Bidault présenta une motion qui, après échange de vues, fut adoptée à l'unanimité et qui soulignait notamment la volonté de la Résistance de voir se constituer à Alger un gouvernement présidé par le Général de Gaulle.
On a écrit beaucoup de choses sur l'âpreté des discussions. En fait, tout se déroula dans une atmosphère d'unité patriotique et de dignité.
Comment va s'organiser l'activité du C.N.R. et dans quel sens?
R.C. :
L'arrestation de Jean Moulin en juin 43 retarda, mais de très peu relativement, la mise en place des structures du C.N.R. ; de trois mois environ, ce qui est peu si l'on veut se souvenir que le travail clandestin imposait des servitudes particulières. Nous n'avions pas d'adresse, pas de téléphone, pas de bureau fixe, et chacun avait un nom qui n'était pas le sien et que les autres ne connaissaient pas. Heureusement, d'ailleurs.
Dans l'ordonnance concernant le Conseil National de la Résistance, et les diverses déclarations de de Gaulle, notamment celle du début mai 1943, les tâches du C.N.R. ne sont pas précisées. A Londres, la Résistance intérieure était surtout considérée comme une force d'appoint au moment du débarquement.
Mais le C.N.R. était né du combat, pour le renforcer, et ne pouvait pas ne pas se consacrer aussi à son développement.
Le premier appel à la Nation, lancé par le C.N.R. en août 43 réaffirme clairement : « Contre l'ennemi et contre la trahison, le C.N.R. assume, en communauté étroite avec le Comité Français de la Libération Nationale, et dans la fidélité à la doctrine de la France combattante, la mission d'inspirer, de coordonner et de diriger la lutte du peuple français sur son propre sol ». Comme je l'ai dit, le C.N.R. ne fait pas disparaître l'identité des organisations qui le composent. Il les unit dans la diversité.
Pour assurer le maximum de sécurité, ce qui excluait la répétition de réunions nombreuses, le C.N.R. ne tiendra que trois séances plénières jusqu'à la Libération, tout en effectuant un travail efficace.
A compter de septembre 43 le travail permanent sera assuré par un Bureau de cinq membres qui, lui, se réunira très fréquemment, au moins une fois par semaine. Chacun y représente sa propre organisation et deux autres membres qui l'ont désigné. Quand ils seront créés, les Comités départementaux de la Libération constitueront le prolongement dans le pays du C.N.R.. Avec le C.N.R. la Résistance a une dimension nationale.
Quelles conséquences politiques va avoir l'arrestation de Jean Moulin?
R.C. :
La disparition de Jean Moulin en juin 43 va modifier l'ordre des choses, mais le travail du C.N.R. ne s'en ressentira pas. Jean Moulin était à la fois le Président du Conseil National de la Résistance et le représentant en France occupée du C.F.L.N. présidé par de Gaulle. Jean Moulin n'avait pas, en France, d'adjoint envoyé par Londres qui ait l'autorité suffisante pour s'imposer à la résistance intérieure. Jean Moulin n'avait été accepté dans sa double mission que parce qu'il était un combattant de l'intérieur. On ne pouvait pas ouvrir une crise qui aurait nui à l'unité de la Résistance. Le C.N.R. décida, par un vote, de désigner un successeur à Jean Moulin.
Ce fut Georges Bidault qui, représentant les chrétiens-sociaux, se situait au centre de l'échiquier politique, c'est-à-dire en bonne position pour veiller à l'équilibre et à l'unité du C.N.R.. Il avait pour lui qu'avant la guerre, il avait été très actif dans la lutte contre les accords de Munich, et Jean Moulin avait pensé que s'il venait à disparaître, Georges Bidault serait le meilleur candidat. Ce dernier, en outre, appartenait à la fois à Combat et au Front National.
On a dit beaucoup de sottises sur les conditions de l'élection de Bidault. On a prétendu que son élection a été une manœuvre de Pierre Meunier et de moi, téléguidée par le Parti communiste. Cela ne repose sur aucun fondement. C'était l'homme qui correspondait aux exigences de la situation. Il n'est pas sain de juger les événements de cette époque en fonction de nos préférences contemporaines.
Lorsque le C.F.L.N. puis le gouvernement d'Alger (GPRF) sont bicéphales, avec à leur tête de Gaulle et Giraud dont on connaît l'antagonisme, comment le C.N.R. se positionne-t-il alors?
R.C.:
Au printemps de 1943 la querelle de Gaulle-Giraud retenait toute l'attention de la Résistance. Le Général Giraud n'avait jamais caché qu'il demeurait fidèle à Pétain, et on peut penser que son évasion avait été organisée avec le concours des services secrets américains. C'était du pétainisme sans les nazis. Mais c'était quand même la politique antipopulaire de Pétain.
Par le canal du C.N.R., la Résistance intérieure signifia sa confiance à de Gaulle pour diriger le gouvernement provisoire. Par sa dimension nationale, par son autorité dans le pays occupé, la Résistance intérieure était en position de faire valoir ses exigences.
Le Général de Gaulle a, en la personne d'un « délégué général », un représentant personnel en France occupée. Quels rapports ce dernier entretient-il avec le C.N.R.?
R.C.:
Les rapports entre le C.N.R. et la délégation générale de de Gaulle en France étaient bons. Le représentant de de Gaulle assistait aux réunions du C.N.R. et du Bureau. Le seul joint d'accrochage, sérieux, se situe au cours des combats de la Libération de Paris à propos de la trêve. Le C.N.R. avait rejeté la trêve proposée par les Allemands, et l'envoyé de de Gaule finit par se rallier, non sans vives discussions à ce point de vue, Il n'était pas imaginable que le peuple de Paris ne soit pas l'acteur de sa propre délivrance et laisse les nazis quitter tranquillement Paris avec armes et bagages.
Plus généralement, quels vont être les rapports entre la Résistance intérieure - que représente le C.N.R., et la France libre?
R.C.:
L'autorité du C.N.R. tient au fait qu'il regroupe toutes les forces de la Résistance intérieure. Comme je l'ai déjà dit, chacune de ses organisations conserve son identité mais applique les mêmes décisions. Le C.N.R. dirige la Résistance dans tous ses aspects. La coopération avec Londres ne va pas toujours sans problèmes. La Résistance Intérieure n'entend pas être un simple organisme d'exécution de consignes venues de l'extérieur et qui pourraient entraver son développement. Il y a, jusqu'au printemps de 1944, une différence de perspective entre le C.N.R. et Londres. A Londres on souhaite que la Résistance soit une force d'appoint au moment du débarquement. Attentisme ou action directe, telle est la problématique. A Paris, le niveau de combativité du peuple est élevé. Le C.N.R. parle et agit avec l'autorité des forces qui luttent pour leur libération. Il lance des mots d'ordre d'action. Il traduit la volonté des Résistants de participer à leur propre libération.
Outre par son rôle de fédérateur de la Résistance, le C.N.R. est entré dans l'histoire par son programme. Comment ce programme a-t-il été élaboré, et dans quelle optique?
R.C.:
Le programme du C.N.R. n'est pas né dans une nuit. Sa rédaction a été précédée de longues discussions. Plusieurs textes ont été examinés, provenant de l'une ou l'autre des parties engagées. Le texte adopté en mars 1944 a comme vertu de mettre en cohérence la volonté de lutte et l'exigence de la société post-Libération.
Dans la première partie du programme, le C.N.R. après avoir insisté auprès du Gouvernement provisoire pour que les Résistants reçoivent des armes, décide une série de mesures destinées à mobiliser l'opinion et à la préparer politiquement et militairement à l'assaut final. Il serait fastidieux d'énumérer ces mesures qu'on trouve dans la première partie du programme du C.N.R.. Au cours de l'an- née 1942, on trouve dans la presse clandestine une exigence qui va au-delà de la Libération du territoire. Il ne suffit pas de se battre, faut-il encore savoir pourquoi. Les sacrifices très lourds payés par les Résistants ne doivent pas être inutiles. Pas question de voir revenir sur le devant de la scène les hommes et les forces de la collaboration, qui ont pillé le pays et brisé les institutions républicaines.
Une large gamme de mesures à appliquer après la Libération est définie. Ce qu'il faut retenir, c'est que cette partie du programme répond à la volonté de changement exprimé par la Résistance de bâtir une société plus juste, plus solidaire, plus démocratique, plus ouverte.
Quel a été le rôle du Comité Général d'Etudes dans l'élaboration du programme du C.N.R.?
R.C.:
Le Comité Général d'Etudes, - c'est le nom qui s'imposa - avait été créé par Jean Moulin en 1942 pour être en France- même le Conseil politique du Comité Français de Libération Nationale de Londres ; il s'installa à Paris en 1943. A cette époque, le Conseil National de la Résistance et la Délégation Générale du gouvernement de Londres en France occupée restent les deux seules institutions se partageant l'autorité gouvernementale sur l'ensemble de la Résistance intérieure. Le rôle du C.G.E. ne sera pas des moindres, même si de sérieux conflits d'attribution, notamment avec les mouvements de résistance de la zone nord, se produisirent. Mais on ne peut en quelques phrases résumer le rôle et l'apport du Comité Général d'Etudes. Disons, à propos du programme du C.N.R. que le texte du C.G.E. fut l'un des cinq ou six qui furent examinés. Mais seul le projet présenté par le Front National (le vrai) et aménagé par les M.U.R. (Zone sud) fut retenu, en raison de sa cohérence puisqu'il liait la lutte pour la libération à l'exigence d'une société nouvelle après la Libération.
Les femmes ont joué un rôle important, décisif à bien des égards, dans la Résistance. Or, le programme du C.N.R. est muet sur le droit de vote des femmes…
R.C.:
Le programme adopté, à l'unanimité, en mars 1944, par le C.N.R. est l'expression de la volonté de la Résistance de participer pleinement - c'est-à-dire de ne pas être une force d'appoint - à la libération du pays, en liaison avec les armées alliées. Et, en même temps, il traduit l'exigence d'un peuple, qui se bat et meurt face à une occupation étrangère sans pitié, d'en finir non seulement avec la présence des nazis mais aussi avec celle du gouvernement Pétain, lequel a plongé le pays dans le déshonneur de la collaboration et dans la misère. C'est donc un programme de caractère progressiste, qui comporte toute une série de mesures sur les plans politique, économique et social, mesures que de Gaulle avait évoquées dans son discours d'Alger en novembre 1943. C'est un programme qui correspond au rapport des forces du moment, et n'aborde que ce qui est susceptible de rencontrer l'unanimité des forces de la Résistance. Il a donc ses limites et l'absence, par exemple, de référence au droit de vote des femmes est caractéristique des oppositions formulées par certains secteurs de la Résistance. Mais la question doit être restituée dans le contexte d'il y a cinquante ans, et non vue avec nos yeux aujourd'hui.
Ce qui est intéressant à noter, et c'est là un des aspects de la portée historique du programme du C.N.R., c'est qu'aux élections législatives qui suivirent immédiatement la Libération, les femmes votant pour la première fois, tous les partis politiques sans exception, de la gauche à la droite, firent leur le programme du C.N.R. Il correspondait donc bien à la sensibilité de l'époque.
Qu'en a-t-il été de la mise en oeuvre du programme du C.N.R.?
R.C.:
De la victoire sur l'Allemagne hitlérienne en mai 1945 à la moitié de 1947, les conditions ont été favorables pour la mise en oeuvre d'un grand nombre de dispositions contenues dans le programme du C.N.R.. Rappelons, par exemple, l'institution de la Sécurité Sociale, la nationalisation des grands groupes de l'énergie du transport et du crédit, la loi sur l'assurance-vieillesse, la Constitution de la IVè République, la loi sur les Comités d'entreprise, sur les conventions collectives, sur le salaire minimum vital, etc.
Le Conseil National de la Résistance est alors au cœur de la vie publique. Mais les espoirs nés de la Résistance vont malheureusement céder la place aux tensions de la guerre froide. La désunion des pays hier alliés dans le combat contre l'idéologie criminelle du nazisme se répercutera dans les relations entre Résistants. Des fractures graves vont affaiblir le courant d'union né dans la Résistance. La guerre froide marque un recul dans le progrès que contenait en germe le programme du C.N.R..
Un demi-siècle s'est écoulé depuis la fin de la guerre. Peut-on dire que le programme du C.N.R. a conservé son caractère d'actualité ? La réponse est oui. Bien sûr, il ne s'agit pas d'en réclamer la mise en application mécanique. La situation n'est plus la même. Mais ce qui demeure, et constitue un tremplin dans la bataille contemporaine ce sont les valeurs de caractère universel qu'il contient, c'est-à-dire la liberté, la démocratie, la justice sociale, la solidarité, la tolérance, l'indépendance nationale, dont la sauvegarde est un devoir indispensable à une époque où sont remises en cause ces valeurs de la Résistance, c'est-à-dire de la République, et où les négationnistes s'emploient à pervertir la réalité de l'histoire.   En faisant du programme du C.N.R. sa référence constante, l'A.N.A.C.R. est fidèle à l'image de la Résistance et c'est pourquoi elle est la seule organisation de ce type qui peut revendiquer le pluralisme qui donna à la Résistance sa force et sa grandeur.
Les « Amis de la Résistance » (ANACR)
7 rue St Blaise

75020 PARIS
Tel : 01 44 64 80 60
Mel : anacresistance@wanadoo.fr
Web : http://www.anacr.com